Blade 3 la retour
jeudi 16/12/2004

Blade 3 donc. S’il est vrai que le dernier opus des aventures du tueur cool de vampires manque de chair au regard du précédent réalisé par Guillermo Del Toro, s’il est exact que ses deux nouveaux acolytes sont bien fades, si j’adhère à la critique d’un scénario faiblard et d’une mise en scène sous somnifères, il n’en reste pas moins que le film est intéressant, même nul.

Blade 2 (nous y reviendrons un jour, j’adore parler de ce film, ça rentabilise le prix de la place à peu de frais) était brillant par sa mise en scène du temps : pour résumer Blade se battait pour qu’il n’y ait ni d’avant lui (les vampires dont il descend) ni d’après lui (l’espèce mutante hyper-dangereuse qui émerge). Il avait prétention à être le seul, l’unique incarnation de son espèce, dans une négation du temps – d’où l’impossibilité finale d’être en couple. Le brassage de références, toutes employées pour mieux montrer en quoi elles étaient dépassées, ainsi que la mise en scène, toujours un pas en avance sur le spectateur, démontraient en images l’hermétisme et l’unicité du corps bladien.

Blade 3 au contraire joue sur un temps tout autre. A la négation, il préfère le fantasme de l’éternité : le méchant Dracula (absolument raté) est immortel depuis la nuit des temps, Blade lui-même est présenté comme éternel. La voix-off nous dit ainsi au début du film que tout commence et finit avec lui, et conclut l’histoire sur l’affirmation que sa guerre ne s’arrêtera jamais. Le but de chacun ici est de vivre à jamais… mais non plus seul. Apparaît ainsi, brièvement, mais cela est de mauvais présage pour les suites à venir, la figure du couple et de l’enfant, lorsque le spectateur est amené à croire que les seuls survivants sont Blade, la jeune femme à IPod qui l’accompagne et la petite fille orpheline. Le couple, la famille, la bande réapparaissent là où Del Toro leur avait réglé leur compte la dernière fois.

Le titre même n’est pas innocent : « Trinity » renvoie moins aux trois héros qu’à la Sainte Famille. Blade 3 est en effet une impressionnante entreprise de réduction. La complexité et les subtilités du deuxième épisode sont ici ramenées au minimum. Adieu la déconstruction du temps, l’action se déroule dorénavant dans un présent éternel, adieu les pistes analytiques sur l’histoire familiale du héros, ici la psychanalyse est réduite au grotesque, incompétent et fourbe psy de plateau, adieu le personnage ambigu du vampire tueur de vampires, Blade n’est plus qu’un vrai gentil (sa part maudite ne ressurgit plus, et la seringue par laquelle il s’injectait du sang est remplacée par un inhalateur – Blade 2 était un film toxicomane, Blade 3 est donc un film asmathique) opposé à des vrais méchants. L’Amérique ivre de puissance et tiraillée par ses contradictions est remplacée par une Amérique-Olympe où des dieux bons s’opposent à de mauvais génies. De même chaque camp rêve ici d’une « solution finale » (le terme est d’ailleurs d’un goût douteux) qui annihilerait l’espèce adverse – fantasme fatigué d’en finir une fois pour toutes, que les choses redeviennent enfin simples.

Alors nul Blade 3 ? Certes, mais la réduction qu’il opère est intéressante. Pourquoi, alors que le scénariste du 2 est le réalisateur du 3, fait-il ainsi une croix sur les pistes les plus intéressantes explorées par la série Blade ? L’écho à l’actualité est clair (Dracula est retrouvé enterré en Irak – summum du ridicule – et Bush est présenté comme un « asshole ») mais illisible : Blade 3 est-il un film critique, dénonçant la réduction du monde qu’il présente, ou de propagande, vantant une politique de guerre juste, où les rôles sont clairement partagés et où les soldats remplacent les chasseurs ? Quoi qu’il en soit le rêve de pureté de Blade 3, autant raté formellement que discutable idéologiquement, a le mérite d’interroger la manière dont l’Amérique se donne à voir. Il nous rappelle surtout à quel point nous préférons le cinéma impur.