Dimanche à Chartre
lundi 06/06/2005

Dimanche dernier ma copine et moi sommes partis avec notre nouvelle voiture vers Chartre, histoire de se dépayser un peu de la grisaille parisienne et si possible de faire l’amour nus dans les champs. N’ayant trouvé aucun coin pour faire nos galipettes (en plus il faisait froid et venteux, bbrrrrrr….), nous avons décidé de visiter la vieille ville et la cathédrale. Après nous être garés un peu loin, nous avons traversé cette bourgade provinciale qui étalait sa tranquillité campagnarde, encore plus accentuée par ce dimanche après-midi printanier. Pourtant une chose dénotait dans le paysage. Plus nous nous approchions de Notre Dame, plus je remarquais, dans les ruelles y menant, de nombreuses familles d’Indiens. Au début, je me suis dit qu’il s’agissait d’un mariage et que, par curiosité et dépaysement, les familles des époux s’étaient offertes une virée touristique bon marché. Néanmoins, en arrivant au portique latéral de la cathédrale, je me suis rendu compte que les Indiens étaient plusieurs centaines. Intrigué, je pénétrais néanmoins dans la bâtisse sans même imaginer ce qui allait suivre.

Je m’attendais encore à une de ces nombreuses visites touristiques effectuées avec mon amie. On se serait émerveillés un peu sur l’architecture, mais rien dans les murs gris ou dans les magnifiques couleurs des vitraux ne nous aurait donné le goût et la saveur du Moyen-âge, de la vie en ces temps-là. Les cathédrales, étouffées par l’église catholique et par les mœurs étriqués des sociétés industrielles, ne sont plus que des objets morts, des sarcophages d’une ferveur oubliée. Et pourtant, en entrant dans Notre Dame de Chartre, nous avons fait un bond de plusieurs siècles en arrière, pile dans une société médiévale avec ses couleurs, son souffle, mais revisités par un metteur en scène de série B de Bollywood disjoncté. Car, occupant la nef et les chœurs jusqu’aux travées, des milliers et des milliers d’Indiens. La plupart des femmes portaient leurs saris de toutes les couleurs, du rose bonbon au bleu turquoise, les hommes en âge d’être père leur costume du dimanche tandis que les jeunes gars, la casquette à l’envers vissée sur le crâne, s’affichaient en habits de rappeurs gansta vu sur MTV. Sur l’autel, un prêtre catholique indien préparait la suite de sa messe alors que des baffles crachotaient de cette musique aiguë et pincée à la mode dans la péninsule la plus peuplé du monde. Si une partie des gens priaient, une autre, surtout réunie dans les nefs latérales, discutait avec des gamins hurlant et jouant à leur pieds. Je ne comprenais rien à leurs conversations, mais leurs visages, leurs gestes indiquaient qu’ils ne parlait pas de chose graves. On était plutôt sur le mode de la discussion de bistrot, dans le « et toi, comment ça va ? » et le « t’as vu le dernier match de cricket (car ces braves gens, fruit d’une civilisation bien plus ancienne que la nôtre, ont en plus le bon goût de ne pas aimer le foot) ». Intrigué, émerveillé même, je demandais à un des participants la raison d’un tel rassemblement. Il m’expliqua avec sympathie qu’il s’agissait du pèlerinage annuelle de la communauté tamoule catholique, auquel venait se joindre de nombreux hindous qui priaient la Vierge Marie. Je l’ai remercié, et nous avons regardé pendant cinq minutes. Puis nous sommes partis.

Pourquoi je vous raconte tous ça. Par plaisir d’écrire mais aussi pour noter, quelque part, fut-ce-t-il réduit à une suite de « 1 » et de « 0 », ce que ce moment avait d’insolite et d’instructif. Insolite parce que trouver une telle population dans Chartre vous émerveille sur les mystères et les surprises du cosmopolitisme. Les immigrés, arrivés à Paris, s’exportent maintenant en rayonnant de la Capitale vers les autres centres urbains et n’amènent pas avec eux que des restaurants à l’exotisme de pacotille (Kebab, Chinois, Hindous, etc…). Ils viennent avec leurs croyances, leurs visions, leurs rêves. Instructif parce que ce sont ces mêmes gens, pour la plupart nés à dix mille kilomètres d’ici, qui sont venus, devant nos yeux, redonner vie à une ville et à une cathédrale promise jusqu’à là à une retraite fade au milieu des appareils numériques et des shorts des rares touristes. N’est-ce pas la preuve quelque part que le monde occidental, si imbu depuis cinq siècles de ses réussites, ne pourra survivre que s’il accepte enfin l’autre…

G.N.