La guerre des mondes
jeudi 14/07/2005
Quelques réflexions en vrac sur la Guerre des mondes :
- depuis au moins Minority report, Spielberg semble avoir changé son fusil d’épaule : loin des blockbusters familialistes tous publics, il réalise désormais des films aux héros perdus, en errance. Spielberg a eu récemment une révélation dont il travaille la matière inlassablement dans ses derniers films : « Nous (la génération des cinéastes américains des années 70 lui, Coppola, Lucas, voire Scorsese) avons été de mauvais pères. En croyant révolutionner le système, nous l’avons nourri, et par notre naïveté nous avons permis toutes les dérives sécuritaires et toutes les manipulations d’images. » Cette découverte, qui était le sujet de Minority report, et que l’on retrouve en filigrane dans tous les suivants, ouvre une plaie dans le cinéma, jusqu’alors bien huilé de Spielberg.
- Comment dès lors, rattraper la faute d’être de mauvais pères et empêcher ses enfants d’être dévorés par les loups (le pédophile dans Minority report, Tim Robbins dans La guerre des mondes, plus dangereux que les extra-terrestre) ? Certainement pas par la recréation de l’unité familiale. Celle-ci ne cesse de se décomposer au fil des derniers opus spielbergiens : si la famille se recompose malgré tout dans Minority report, et si Di Caprio parvient à se trouver un père de substitution dans Attrape moi si tu peux, l’allégeance au père est déjà trop tardive dans Le Terminal et la famille se retrouve dans la Guerre des mondes sans que cela n’indique de recomposition.
- Si la famille n’est plus pour Spielberg le socle de l’unité américaine, comment les mauvais pères peuvent-ils se racheter ? En assumant la nature duelle de l’image : à eux l’obligation de tout voir, de se confronter aux horreurs du monde et à la déchirure de l’image la scène du début où Cruise reste immobile, fasciné par les monstres sortant du bitume est à cet égard déterminante. A leurs enfants, l’injonction de garder au contraire les yeux fermés la petite fille passe la moitié du film les yeux bandés ou cachés. A ce prix seulement pourront-ils être sauvés. Le fils, qui veut voir (plus que se battre d’ailleurs) sera puni d’avoir regardé le monde en face. Au faux raccord qu’elle n’arrive pas à masquer, il est clair que la fin proposée en salle a été rajoutée plus tardivement, et que dans la première version le fils mourrait d’avoir vu.
- Cette perte de foi dans l’image, Spielberg l’annonce dès le début, lorsque autour de Cruise il détruit toute matérialité : personnages, immeubles, voitures, ciel et terre se décomposent derrière Cruise, le laissant seul à l’écran. La démarche pourrait presque être cartésienne : lorsque tout à disparu, comment se reconstruit-on une existence ? Par le doute, seul sentiment à animer le visage de l’acteur durant les deux heures suivantes. Le cinéaste qui a inventé le blockbuster d’été fondé sur la peur (Les dents de la mer), remplace la peur par le doute. En détruisant la matérialité de l’image, il gagne en consistance.
On peut s’offusquer de ce cinéma qui prétend sauver ses enfants en les rendant aveugles, se gausser de cet art démocrate qui dénonce la guerre en Irak lourdement, se désoler d’un Spielberg immature. On préfère d’ailleurs la réponse de Scorsese à cette même question, qui dans Gangs of New York fait l’injonction contraire (et impossible) du tout voir. Il n’en reste pas moins que ce film sur la paternité (c’est une évidence que dans La Guerre des mondes tout le monde se fout des extra-terrestres) souligne s’il était besoin que le cinéma de Spielberg est en crise… et que cette crise est beaucoup plus intéressante que les démonstrations de force des années 70/80.