Fumées d’opium et coups de bambou
mercredi 07/12/2005

Il y a de drôles de correspondances historiques. Sarkozy, persuadé à tort ou à raison que le plus facho gagnera les élections présidentielles, a annoncé la semaine dernière trois mesures phares :

1 - réintroduction de la loi anticasseurs de 1970 (qui permettait pour lutter contre les groupuscules gauchistes d’arrêter quiconque se trouvait à proximité d’une manif un peu trop chaude).

2 - modification de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs (afin de réduire leur protection juridique).

3 - réforme de la loi de 70 sur les stupéfiants (sous couvert de remplacer les peines de prisons par des amendes pour les fumeurs de shits arrêtés il s’agit en fait de relancer la chasse aux amateurs de pétards et de privilégier une approche répressive des drogues).

Au-delà de l’effet de miroir avec les années Pompidou, qui confirme qu’à l’origine de la répression il y a bien un fantasme régressif, les annonces de Sarkozy constituent l’ébauche d’un programme. Contrairement à ce qu’il affirme, ses mesures n’ont rien de pragmatiques, mais tracent les bases d’un corpus idéologique très connoté. Le mélange des genres n’est en effet pas innocent : réduire la révolte à la délinquance, considérer la jeunesse à la fois comme coupable et menacée, faire des drogues la cause d’un supposé dérèglement social… Se dessine ainsi un monde où le répressif guide l’action politique, où le corps social s’imagine tout à la fois innocent et assiégé par la corruption et la dégénérescence, où le danger à combattre est ce qui rôde aux frontières de ce corps fantasmé pur, que ce soient les drogues où l’étranger auquel elles sont perpétuellement assimilées.

« Pervers, le toxicomane est irréconciliablement autre. « La drogue dangereuse c'est la drogue de l'Autre » souligne ainsi Anne Coppel. Aux Etats-Unis, les couches historiques de l’immigration structurent ainsi la prohibition. Le thème de la jeunesse menacée par les drogues apparaît avec l’opium des chinois, qui s’en serviraient pour violer de jeunes blanches. La cocaïne des noirs, la marijuana des hispano-américains, entraîneront ensuite les mêmes préjugés. En France, les bonnes drogues nationales, telles le vin, sont opposées aux mauvaises venues de l’étranger. Les drogues sont ainsi dénoncées au nom de la sécurité nationale, en temps de guerre – la cocaïne est interdite en 1917 parce que produite par l’Allemagne – ou d’agitation sociale – la loi de 1970 se donne pour objectif de rétablir l’autorité de l’Etat face au péril gauchiste. (…) Ce n’est donc pas étonnant si les drogues sont pensées en termes d’épidémie, dont les consommateurs seraient les prosélytes et les jeunes les victimes. (…) Ce sont ainsi des évaluations morales, politiques ou sociales qui conditionnent le classement des drogues (…) Se construit ainsi un arsenal législatif qui ne repose sur des données ni médicales, ni scientifiques, ni sociologiques… (…) Née à une époque où le gouvernement cherchait à réaffirmer son autorité après les évènements de mai 68, la loi de 1970 s’inscrit toutefois dans un cadre plus large de remoralisation de la société qui privilégie implicitement son volet répressif. » écrivions nous il y a six mois dans le dossier sur les drogues du numéro 3 de Trouble(s). Nous ne pensions malheureusement pas être autant d’actualité.