édito

Avaler la pilule

Trouble(s) 3 sort plus tard que prévu. Ce retard mérite quelques explications. Publier une revue nécessite de concilier une diffusion somme toute restreinte en librairies et un coût élevé d’impression. L’équation est assez simple : plus on tire d’exemplaires, moins ils nous reviennent chers, mais pour en tirer beaucoup, mieux vaut disposer de nombreux points de vente… trop coûteux pour nous. Cette quadrature du cercle, la majorité des revues la contourne de deux manières : soit leurs membres possèdent suffisamment de ressources pour amortir le coût d’impression, soit elles bénéficient de l’aide que le Centre National du Livre accorde à une très large partie d’entre elles. N’étant pas héritiers, nous nous sommes tournés vers cet établissement public, qui à deux reprises nous a opposé une fin de non-recevoir, au prétexte que nous ne serions pas une revue… L’arbitraire de cette décision, d’évidence inéquitable, n’appelant aucun recours, nous avons donc dû, faute de trésorerie, attendre d’avoir vendu suffisamment d’exemplaires du n°2 avant de faire imprimer celui-ci. Face au rétrécissement de l’espace public que nous pressentions dans notre dernier éditorial, la survie de Trouble(s) repose donc plus que jamais sur ses lecteurs.

En mettant le réel à distance, les opiums auxquels se réfère ce troisième opus de Trouble(s), ont la propriété d’être à la fois des outils possibles de libération et des instruments d’asservissement. L’imagination qu’ils convoquent permet-elle de s’affranchir des normes sociales ou au contraire nous empêche-t-elle de vouloir transformer le réel ? Le débat est aussi vieux que la nature duelle des drogues, qui à la fois guérissent et empoisonnent. Ce numéro s’emploie dès lors à dépasser cette alternative morale. Nous croyons en effet que cette tension n’est pas résoluble par un simple jugement de principe mais implique au contraire une vraie réflexion éthique. Si les opiums, de l’industrie du divertissement aux figures religieuses, ont des valeurs opposées suivant la manière dont ils agissent sur ceux qui les consomment, comme armes de propagande, agents de dépendance, ou matrices d’utopies… ce n’est pas eux qu’il faut interroger mais leurs usages.

« Par-delà bien et mal. » La formule de Nietzsche permet ici de se souvenir qu’il s’agit non de juger d’après la cause — ce qui constitue la démarche morale par essence — mais plutôt d’après les résultats produits par les opiums. Se demander s’ils octroient ou non un gain de puissance ne revient pas à en justifier l’usage mais invite plutôt à s’interroger sur les réseaux qui les structurent et les volontés qui s’y déploient. De ce renversement de point de vue, nous nous employons ici à fonder une éthique de l’usage. De Koltès à Assayas, de l’accoutumance qu’implique prétendument la masturbation à la réduction des risques, en passant par le jeu compulsif, élaboration d’un savoir qui dépasserait à la fois la pose élitiste du consommateur éclairé et la condamnation primaire — qu’elle se fasse au nom de l’ordre moral ou de la libération du peuple.

trouble(s)

Outil de réflexion et de lutte, Trouble(s) est une revue engagée qui vise à mettre à bas tous les systèmes de domination non librement consentis.

Trouble(s) n°3
Trouble(s) n°2
Trouble(s) n°1
Bonus
Où nous trouver
S'abonner / Commander
Nous contacter








 






 

 




poing à la ligne

Une fois par an, Ravaillac organise le festival de libre expression jeune Poing à la ligne qui s'articule autour de plusieurs débats, d'une projection, d'un concert et d'un journal en direct quotidien pendant toute une semaine.

Poing à la ligne
Les groupes du festival

association ravaillac

Association loi 1901 dont les membres ont en moyenne 20 ans, Ravaillac a pour objet de promouvoir la libre expression jeune.

Association Ravaillac
Agenda
Contact
Archives

en lutte

Informations concernant diverses luttes en cours, pétitions, etc. Vous pouvez nous envoyer vos informations à l'adresse ci-dessous.

Mouvement lycéen
Trans-Action

webmaster@revuetroubles.com

sommaire / Trouble(s) n°3 / opiums

Sexualités

La main heureuse

Sur la touche
Alors que Thomas Laqueur sort un épais ouvrage sur la masturbation, il nous a paru important de confronter cette pratique encore décriée au nom de l’addiction qu’elle provoquerait, aux discours qui l’enveloppent depuis trois siècles. On nous a néanmoins trop reproché notre usage de la philosophie de Foucault pour que nous ne l’assumions pas ici : ce rapide panorama du traitement de la masturbation doit beaucoup à son Histoire de la sexualité. De Foucault nous avons gardé le souci de ne pas réduire trop hâtivement les instances de contrôle à des outils répressifs, et l’inscription des processus de fabrication des sexualités dans la lutte des classes. Parce qu’il ne s’agit justement pas de refaire un traité sur l’onanisme, nous avons pourtant éclaté la pensée de Foucault, la confrontant aux effets historiques et sociaux des discours sur la masturbation et à ses avatars contemporains. Dossier à lire d’une seule main.
Enquête réalisée par Joseph S. et la Cane Hardeuse

Répression des Freud
Il serait tentant de voir dans l’avènement de la psychanalyse à la fin du XIXe siècle un tournant exclusivement libérateur dans l’histoire de la masturbation, celle-ci étant enfin délestée de ses conséquences physiologiques néfastes. Néanmoins, sous ses aspects de révolution médicale, la psychanalyse semble être un nouvel outil de contrôle de la masturbation, plus sophistiqué.
Par Mme Patate

Doigts d’auteurs
Même si elle en a longtemps été officiellement bannie, la masturbation a occupé dans la littérature diverses fonctions, pour la plupart non négligeables. Tour d’horizon de cette interpénétration, qui se fit tour à tour aveu, plaisir ou leçon de morale.
Par la Cane Hardeuse

Dernier porno à Paris
En septembre, la mort du réalisateur halluciné des Vixens, Russ Meyer, coïncidait avec la sortie en DVD de La Chatte à deux têtes, une plongée anthropologique de Jacques Nolot dans l’univers d’une salle X de quartier. Deux bonnes raisons de se demander ce que devient la pornographie collective, du dernier cinéma parisien pour adultes, aujourd’hui en danger, aux cabines de visionnage des sex-shops, symptômes underground d’une individualisation rampante du voyeurisme.
Enquête réalisée par Alban Lécuyer

Le bordel d’Ophir
Nico, un journaliste français, arrive à Bathory, un petit pays d’Europe de l’Est qui semble être à première vue le paradis sur terre, dans un futur proche qui n’est pas daté. Les habitantes (les «invitées») sont toutes belles, grandes, jeunes, blondes. La jeunesse y est éternelle. La différence des sexes a été abolie. Les richesses sont réparties de manière égalitaire. La sexualité est libre. Le travail peu contraignant… Mais bientôt se révèle la violence de Bathory. C’est la trame du roman d’Isabelle Zribi, Le Paradit, dont nous vous proposons quelques morceaux choisis.

Plaisir d'offrir, joie de recevoir
En quelques pièces, écrites entre 79 et 88, date à laquelle il meurt du sida, Bernard-Marie Koltès invente le théâtre du deal. Ce n’est pas tant qu’on y prend des drogues, mais plutôt que l’ensemble des rapports humains y est lu à travers le prisme de la négociation. L’enjeu en est le désir, qu’il soit toxicomane ou sexuel, et son déploiement dans l’espace et le langage.
Par le Satrape rôdeur

La chère de sa chair
Son corps comme un objet dont on se détache, qu’on regarde de loin. Quand elle s’aventure dans le périmètre rapproché d’un miroir c’est toujours pour « vérifier ». Jamais elle ne s’observe, jamais elle ne se regarde se regarder. Elle vérifie comment son pull tombe sur ses épaules, si son maquillage n’a pas coulé, si ses cheveux sont encore en place. Comme si tout devait toujours être en parfaite adéquation avec un canevas rigide, fixement établi.
Nouvelle de la Cane Hardeuse

Politiques

A l'usage

Techniques de drogues
On parle souvent des drogues au singulier, masquant ainsi la diversité des usages comme des discours. L’apparent hégémonisme du répressif en matière de drogues ne doit pas dissimuler à quel point il est le produit de rapports de forces et d’une lente conquête du pouvoir médical. L’histoire des politiques des drogues, des conditions de leur interdiction ou de leur régulation, croise bien souvent celle de la santé publique et du contrôle social des corps.
Enquête réalisée par Mme Patate et le Satrape rôdeur

La réduction des risques, et après ?
Chef de service au Centre de soins spécialisés en toxicomanies de Nanterre (La Fratrie) et membre du conseil d’administration de l’Association Française de Réduction des Risques, Vincent Bourseul, militant de la réduction des risques, répond à quelques idées courantes suscitées par cette politique de santé publique.
Tribune de Vincent Bourseul

Pluies d'acides
Entre 1960 et 70, l’Amérique a tremblé sur ses bases. Tandis que la gauche radicale faisait descendre la jeunesse dans la rue, la popularisation du LSD contribuait à l’émergence de la contre-culture. Pendant dix ans, psychédéliques et politiques se sont combattus, copiés ou tutoyés. Retour sur le seul mouvement de contestation d’envergure qui ait tenté de prendre en compte les drogues comme force politique.
Par le Satrape rôdeur

"Plonger dans la mer, là où l'on n'en aperçoit pas le fond, et revenir à terre à la nage..."
Chasseur de serpents, critique musical, poète, journaliste, Nick Tosches est aujourd’hui l’auteur de biographies sur les icônes populaires américaines (Hellfire, Dino…) et de romans noirs sur la mafia (Trinités, La Religion des ratés…). Son dernier livre, La Main de Dante, paru chez Albin Michel en 2003, reprend ses thèmes de prédilection : l’affrontement dans le monde et en nous de deux forces contradictoires — qu’il serait réducteur d’appeler le Mal et le Bien — les flux de pouvoir, la dénonciation d’un certain mode de vie américain. Que ce soit dans ses romans ou ses enquêtes, les drogues jouent toujours un rôle important, comme déclencheur ou révélateur. Cet entretien, réalisé par mail, suggère d’autres lectures, plus hallucinées peut-être, de l’un des seuls écrivains rock.
Propos recueillis par Mme Patate et le Satrape rôdeur

Loin des yeux loin du coeur
Les élites et les médias français se dopent à l’anti-américanisme, préférant porter Farenheit 9/11 aux nues qu’interroger les soubresauts de la politique extérieure française. Tentative de désintox.
Par Guillaume Noir

Dans ces casinos sans croupiers ni smokings
Depuis une dizaine d’années, la stratégie de la Française des Jeux consiste à faire de chaque bar-tabac un casino de proximité. Dernier épisode en date : la sortie en septembre d’une version relookée du ticket à gratter Vegas. Mais à l’abri de son statut et fort d’un chiffre d’affaires en perpétuelle croissance, l’opérateur public reste sourd aux avertissements du monde médical sur le jeu pathologique.
Enquête réalisée par Alban Lécuyer

Cultures

Les portes du paradis

Utopies romanes
« La religion est l’opium du peuple » écrivait Marx alors qu’il n’avait pas encore de barbe. A l’addiction des pratiques cultuelles répond la quête d’un état extatique, incarné par le paradis. Promesse de bonheur éternel et instrument d’oppression sociale, le paradis chrétien, protéiforme, n’a cessé d’imprégner l’imaginaire occidental — instillant ses codes et représentations au cœur même de l’utopie, son versant laïc. Phénomène culturel, autant que politique et social, il irrigue œuvres picturales et littéraires, qui en retour en redéfinissent les contours.
Par Guillaume Noir et Beauté nébreuse

Utopies
Portrait de trois utopies, de leur histoire, leur mise en oeuvre, leurs survivances : le royaume du prêtre Jean, la république corsaire de Salé, et le kibboutz.
Par Guillaume Noir et Beauté nébreuse

« Il y a un désenchantement l’encontre d’un paradis sur terre »
Historien des religions, professeur honoraire au Collège de France, où il fut titulaire de la chaire d’histoire des mentalités religieuses dans l’Occident moderne, Jean Delumeau a publié de nombreux ouvrages sur le paradis. Protestant fervent, il retrace pour nous l’histoire du paradis. Partir à la recherche de sa localisation permet ainsi de mieux saisir ses filiations, des mouvements millénaristes aux expériences révolutionnaires.
Propos recueillis par Guillaume Noir et Beauté nébreuse

Mescaline de fuite
Les années vingt voient l’émergence de nouveaux mouvements artistiques, qui font de l’expérience des drogues le moteur de leur création. A la recherche de regards inhabituels, d’un dépassement de la réalité, ils se servent de stupéfiants, notamment hallucinogènes, pour produire des œuvres radicalement en rupture. Bien qu’éminemment fécond, ce croisement de l’art et des drogues est néanmoins rapidement renié par une partie de cette nouvelle génération, parfois déçue par les paradis artificiels, souvent effrayée par leurs effets secondaires de mieux en mieux connus.
Par Joseph S.

Filmeries d’opium
Les commentateurs classiques de Cocteau préfèrent souvent confiner sa consommation d’opium à la simple anecdote. Pourtant, son usage de drogue ne donnera pas naissance qu’à Opium — journal d’une désintoxication, mais irriguera l’ensemble de son œuvre cinématographique.
Par Rémi Prin

De la propagande… aux bonbons acidulés
Dernièrement a été réédité chez 10/18, l’un des entretiens phares de Noam Chomsky : De la propagande, ainsi que Le profit avant l’homme. En ces temps de scepticisme généralisé, Chomsky nous donne des outils pour comprendre ce qui est en jeu dans ces nouvelles guerres de propagande : le mépris de l’individu qui dorénavant s’affiche.
Par Mélanie Perrier

Du rêve à 50 roupies
A Bollywood, les héros sont beaux et dansent en cadence. L’Inde vit au rythme d’un cinéma facile, et peu importe l’histoire racontée, il faut produire du rêve pour plus d’un milliard de spectateurs. Le système fonctionne, entretenu par le fantasme d’un star-system bien rodé. A l’image de sa lointaine cousine californienne, Bollywood est devenue un temple magique où vagabondent quelques immortels choisis des dieux…
Reportage de Philippe Chlous

Retour d’héroïne
Sorti en septembre dernier et désormais disponible en DVD, le nouveau long-métrage d’Olivier Assayas est un film à la structure et au rythme musicaux. Pourtant, malgré son sujet et sa BO, Clean n’est pas un film rock : pas de sexe, plus de drogues, et une image fragile. Alors qu’est-il : post-rock ou pré-désintox ? Dénouons les fils de cette œuvre unplugged au son de quatre de ses chansons.
Par le Satrape rôdeur